top of page

Suivis mais seuls : le paradoxe des communautés sur les réseaux sociaux

J’ai eu la chance, je dis bien la chance, de vivre la naissance des réseaux sociaux. Je veux parler d’une époque pas si lointaine, qui était encore un peu joyeuse. Nés de la promesse d’un monde plus connecté, plus proche, les réseaux sociaux ont souvent permis à leurs débuts de sortir de l’isolement, de trouver une tribu, d'exprimer une parole longtemps invisibilisée.

Il y a une vingtaine d’années, les réseaux sociaux servaient surtout à rapprocher les personnes physiquement éloignées. Sur « Copains d’avant », on retrouvait son enfance et les anciens camarades perdus de vue. On découvrait avec fascination la possibilité de communiquer par delà les océans à la vitesse de la connexion. Elle était loin d’être aussi performante qu’aujourd’hui, même dans les grandes villes. On « ramait » un peu pour communiquer, on râlait pas mal, car on s’habituait déjà malgré tout à la rapidité des choses.

Facebook prenait son essor. On apprenait à écrire sur un « mur » virtuel. C’était parfois déroutant, on tâtonnait un peu, mais l’ambiance restait joyeuse. Bien sûr, les trolls existaient déjà. On les repérait vite, on les laissait entre eux... et on créait puis on avançait dans sa communauté faite de personnes aux valeurs partagées.  Parfois on se faisait même de nouveaux amis installés dans des régions ou des pays plus lointains, avec lesquels on parvenait à tisser des liens tels qu’on les rencontrait parfois plus tard dans la vraie vie. Et le cercle de l’amitié s’agrandissait au-delà des départements et des frontières.

On rencontrait aussi quelques accros du net qu’on appelait maladroitement des geeks et on constatait déjà une certaine misère affective.

Car les réseaux ont pu se révéler être un formidable outil de lien.

Ils étaient portés par l’idée d’abolir les distances, de réunir ce qui était dispersé. D’offrir un espace pour les marginaux, pour les timides, pour les oubliés. Un lieu de parole, d’échange, d’engagement.

Et puis très vite, la promesse s’est transformée.

À mesure que nos vies se sont numérisées, les relations se sont fragmentées. Sur les messageries d’abord, les codes ont évolué : exit les introductions polies, les formules de courtoisie. Tout s’est accéléré.

Les réseaux sont devenus un gigantesque théâtre où l’on montre énormément, où l’on observe beaucoup, on raconte tout, absolument tout. Mais où l’on participe de moins en moins. Certains suivent, mais ne s’expriment jamais. D’autres applaudissent nos publications, mais nous ignorent dans le quotidien. Il m’est arrivé de recevoir des emojis affectueux d’une personne qui m’a toujours ignorée dans la rue … allez comprendre !

nettoyage sur les réseaux sociaux

On finit par se demander : qui est vraiment là ? Et pourquoi ?

On peut reconnaître à la crise du Covid d’avoir bouleversé nos modes de relation. L'éloignement physique a été comblé par l’hyperconexion. Les visios ont remplacé les poignées de main. Les likes, les smileys : les accolades, les embrassades. Et quelque chose s’est détérioré en silence : l'intimité.


Beaucoup de liens se sont effacés sans bruit. Peut-être parce qu’ils ne reposaient sur rien finalement. Peut-être aussi parce que l’échange virtuel est plus confortable que l’engagement réel. Pour beaucoup, lorsque la crise est passée, les habitudes d'évitement ont perduré. Aujourd’hui, on reste derrière l’écran. Moins exposés. Moins impliqués.


En même temps, tout se montre. Tout se partage. Même l’intime. La douleur. La joie, réelle ou feinte. On expose tout : les corps, les repas, les deuils, les rêves, les doutes. C’en est ridicule.


Mais dans la vraie vie, on n’arrive plus à prendre des nouvelles de son voisin. On ne s’intéresse plus à son prochain. On ne l’aime plus. On ne s’aime plus. On s’en fout.


À force de raconter sa vie, on en oublie de la vivre.


Dans la vraie vie, les gestes comptent. Les regards, les silences, les présences réelles. Mais on dirait qu’il est devenu plus facile de dire « je pense à toi » par message que d’aller frapper à une porte avec l’affection et l’intention réelle de prendre des nouvelles.


Sur les réseaux, on mélange tout. On confond l’audience avec l’amitié. La visibilité avec la tendresse. L’attention avec l’affection. Mais les réseaux ne réparent pas les absences. Ils les maquillent.


Sans les rejeter d’un seul bloc, il est peut-être temps de les replacer à leur juste place : un outil, pas un refuge. Un espace de lien, pas un substitut au lien.


Mais qu’est-ce qu’une communauté, au fond ?

Sûrement pas un simple regroupement d’individus qui se croisent ou se suivent. Elle repose sur quelque chose de partagé : des valeurs, une passion, une cause, parfois une épreuve. Et sur l’envie de créer quelque chose ensemble, même si c’est juste une présence.

Une communauté, ce n’est pas une audience. Ce n’est pas une vitrine. Ce n’est pas un chiffre. Ce n’est pas une performance sociale. C’est un espace de reconnaissance mutuelle.

Elle n’a pas besoin d’être immense. Elle a besoin d’être habitée


Il n’y a pas si longtemps, quand on voulait faire mieux, on parlait toujours de faire plus. Ces dernières années, on réfléchit plus souvent à faire mieux « autrement ».

Alors …


Pourrait-on repenser la communauté, peut-être en acceptant de faire moins... mais mieux ? En s’entourant de peu, mais de vrai ?


Je connais mes amis. Je n’ai pas besoin de croire, ni de faire semblant de croire, que j’en ai plus que la réalité. Un réseau sain respecte des valeurs communes. Pas des apparences. 


Parce qu'à la fin, les gens qui comptent sont ceux qui sont là quand on éteint l’écran. Et qu’une présence ne se like pas. Elle s’apprécie. Et elle s’honore. Avec une affection réelle. Avec sincérité.

Logo Veronique Chambeau Upcycling Papier Mâché Art Durable

Commentaires

Noté 0 étoile sur 5.
Pas encore de note

Ajouter une note
bottom of page