Créer pour de vrai
- Veronique Chambeau
- il y a 1 jour
- 3 min de lecture
Il y a dans le geste de créer quelque chose de profondément intime. C'est une nécessité, un besoin, une force, un appel intérieur qui prend forme dans la matière, la couleur, la langue ou le silence. Créer n'est pas simplement fabriquer : c'est une mise au monde.
Et comme une mise au monde, elle ne vient pas forcément toute seule.
Il arrive qu'au début, on tende à s'inspirer d'auteurs établis. Qu'on emprunte un chemin reconnu, un style qu'on admire. Pour apprendre, se découvrir, organiser son territoire.
Avant de devenir le grand Picasso, le jeune Pablo copiait Renoir. Avec application, avec admiration. Comme beaucoup, il a appris en empruntant.
A force de travail, il trouva son style pour devenir reconnu à son tour, comme on sait.
Picasso a su se détacher de Renoir. Renoir avait du talent. Picasso aussi.
Mais il arrive parfois que l'admiration soit si forte qu'on oublie de s'en détacher. Et parfois même, l'imitation est si réussie qu'elle trouble les moins avertis.
Peut-on réellement créer à l'ombre d'un autre ? Comment créer pour de vrai ?
Si l’inspiration est naturelle, point de départ de tant de parcours, elle ne peut être un refuge. Elle ne doit pas devenir un masque.
Créer, c’est aussi apprendre à quitter ce que l’on aime, à trahir un peu ce que l’on vénérait, pour faire place à ce qui, en nous, n’a encore jamais pris forme. Ce geste-là est plus difficile, parce qu'il demande du courage. Il exige qu’on accepte de perdre l’éclat emprunté pour rencontrer sa propre matière brute.
Car créer, c'est accepter de ne plus se cacher derrière un style maîtrisé. C'est savoir affronter le silence, l'imperfection, le doute. Alors : et le talent ?
Le talent, s’il en est, réside peut-être là. Dans cette capacité à résister à la facilité de reproduire.Dans ce moment où l’on ose dire : “Je ne sais pas encore ce que j’ai à dire, mais je vais le chercher.”
L’œuvre personnelle ne sera peut-être pas aussi parfaite, pas aussi séduisante, pas aussi “réussie” au premier regard. Mais elle aura quelque chose de plus rare : une vérité intérieure. Et c’est elle, cette vérité, que l’on reconnaît comme la marque d’un geste habité.
Tous ceux qui sentent le désir de créer monter en eux, et ils sont de plus en plus nombreux, doivent s'en souvenir ! A un moment ou à un autre, il faut savoir poser les béquilles que sont les influences et se mettre debout. Même en chancelant un peu. Tous les artistes passent par là.
Le public, amateur d'art, amoureux du beau doit de son côté apprendre à regarder avec un peu plus d'attention. Il doit écouter ce qui vibre vraiment sous la surface, au lieu de se laisser éblouir par le vernis du déjà-vu. Il doit sentir la différence entre une oeuvre habitée et une oeuvre plus ou moins habilement inspirée.
Il est si facile d'être " bluffé" . Je reste attristée, parfois, de rencontrer un public pourtant sincère applaudir un écho dont il croit entendre la voix. Simplement parce que le simulacre s'approche de si près à l'original.
Car le regard du public est loin d'être neutre. Lorsqu'il acclame la répétition, il décourage l'audace. Mais lorsqu'il perçoit ce qui cherche à naître, même maladroitement, alors il soutient vraiment l'acte de création.
La vérité sait se faire connaître. Il suffit de ralentir, de sentir, de douter un peu, de creuser aussi. L'art n'est pas qu'un acte solitaire. C'est un dialogue, parfois/souvent fragile, entre celui qui ose créer et celui qui ose regarder vraiment.
Dans une déferlante de styles, il faut apprendre à poser un regard plus exigeant. Un regard capable de dire, en silence : "Ça, c'est du vrai ! "
Car ce n'est pas la facilité qui fait l'oeuvre. C'est l'authenticité.

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